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Entretien avec Bertrand Breysse (LMB), Mickaël Landemaine (Campus du patrimoine bâti), Frédéric Thomas (L'ARBAN) et Fanny Couegnas (PNR Millevaches)
Juin 2025
T&F
Le programme RESPIR mobilise depuis un an et demi les acteurs de Felletin pour faire émerger une lecture partagée des patrimoines matériels et immatériels et déterminer comment les mobiliser en lien avec les enjeux d’avenir du territoire. Le premier axe de travail identifié répond à des besoins essentiels d’amélioration durable de l’habitat et du cadre de vie, mais aussi de la revitalisation des savoir-faire qui ont dessiné le paysage creusois.
En faisant de Felletin un chantier-école permanent de l’éco-réhabilitation, le programme souhaite accompagner la restauration du bâti dans une démarche respectueuse qui fait appel aux techniques traditionnelles et écologiques de la construction et permettre à la commune de devenir un démonstrateur national. Trois chantiers-école sont envisagés selon des temporalités distinctes : la restauration du « petit » patrimoine hydraulique (puits, fontaines…) ; celle de la lampisterie accolée à la gare, destinée à devenir dans deux ou trois ans un espace d’accueil pour les voyageurs ; enfin, à plus long terme, celle d’un bâtiment en centre-bourg, dont l’usage sera défini grâce au travail des étudiants de l’ensemble des établissements de formation réunis par le Campus du patrimoine bâti.
Plusieurs acteurs locaux du secteur, institutionnels, associatifs et entrepreneuriaux participent à ce chantier en éco-réhabilitation : l’association des Maçons de la Creuse, le Campus du patrimoine bâti, en particulier le LMB et la SCIC L’Arban spécialisée dans l’éco-construction. Le PNR de Millevaches, partenaire historique de RESPIR, prend part également à la démarche.
Mickaël : Je suis directeur général du Campus du patrimoine bâti et ce que je trouve très intéressant avec RESPIR, c’est sa capacité à développer des coopérations et des synergies, tout en valorisant et impliquant notre établissement totem qu’est le LMB (Lycée des métiers du bâtiment) à travers une démarche d’expérimentation et d’innovation. La mise en réseau sur laquelle le programme s’appuie est très fructueuse pour nous, car elle accélère le dialogue entre le monde scolaire et l’entrepreneuriat local du bâtiment.
Bertrand : Je suis le proviseur du LMB, un établissement reconnu dans le secteur du bâtiment. Nous avons l’habitude de mener des chantiers-école, mais je dirais que le programme RESPIR apporte davantage de visibilité, permet une hausse des compétences notamment à travers les savoir-faire de l’éco-réhabilitation et s’appuie sur des patrimoines qui définissent l’identité du territoire. Cela permet de donner au chantier une vraie valeur aux yeux des jeunes et des enseignants.
Frédéric : La SCIC L’Arban a été sollicitée par la mairie de Felletin pour participer au programme. Pour nous, c’est toujours intéressant lorsque des personnes extérieures s’intéressent au territoire. Elles apportent un autre regard, mais aussi leur propre réseau. Nous considérons depuis toujours les patrimoines comme un facteur de résilience, en particulier le patrimoine bâti : ce chantier va permettre de nourrir la formation des jeunes en s’appuyant sur les savoir-faire de l’éco-réhabilitation. C’est un vrai enjeu pour l’avenir : la moitié du parc du logement sur le territoire a été bâti avant 1948 et 35% des maisons sont classées F ou G. À nos yeux, c’est le point le plus important de ce programme : les savoir-faire ne sont pas exposés dans un musée, mais employés à des fins utiles pour les habitants, afin de lutter contre cette précarité énergétique.
Fanny : Le PNR de Millevaches est intégré au programme RESPIR depuis le début, ce qui m’a permis de voir l’évolution du projet et l’avancée de la réflexion collective. C’est très enrichissant. Nous avons bien vu que les axes de travail ont été définis en fonction des besoins de la collectivité et des partenaires. Pendant un an et demi, les pistes se sont affinées et les projets sont désormais bien structurés. Cette façon de travailler change avec ce qui est proposé d’habitude : RESPIR a un caractère vraiment participatif et dépasse les enjeux de la restauration pure, en intégrant d’autres dimensions autour des patrimoines, de l’identité du territoire et de la coopération entre les différents acteurs locaux.
Mickaël : Le programme RESPIR permet de changer d’échelle en élargissant la perspective : plus d’acteurs sont impliqués, ce qui permet d’accroitre également les ambitions. Les réalisations envisagées seront significatives pour le territoire, parce qu’elles rendront visibles les savoir-faire de la réhabilitation durable.
Bertrand : Dans les chantiers-école que nous menons habituellement, la dimension écologique reste marginale. Or, il est important que nos élèves aient les capacités de s’adapter aux demandes de leurs futurs clients. Si l’éco-réhabilitation reste pour l’instant un marché de niche, cela ne va pas durer longtemps. Cette expérience va leur permettre de comprendre concrètement comment cela se passe.
Frédéric : Pour nous, cette collaboration avec le monde scolaire est une première. C’est sur le chantier qu’on apprend à faire connaissance avec les enseignants, à comprendre les vrais enjeux de la coopération, à construire des échanges et des partages de connaissances.
Bertrand : Les chantier-école sont un terrain d’émulation ; la présence de différents acteurs, notamment des entreprises et de la collectivité, entraîne une obligation de résultats. C’est très motivant pour les jeunes.
Fanny : Les chantier-école lancés par RESPIR, au-delà de la coopération entre les partenaires, ont aussi permis de construire en interne des passerelles entre plusieurs chargés de mission du PNR, responsables par exemple du domaine de l’urbanisme ou encore des actions à mener pour faire face au changement climatique.
Mickaël : L’éco-réhabilitation permet aux jeunes d’acquérir de nouvelles compétences techniques et sociales. Le chantier-école a pour vocation de proposer un terrain proche d’une situation professionnelle réelle ; ici, il faut apporter une réponse originale aux besoins du territoire, en comprenant l’histoire de son patrimoine et en le respectant grâce à des solutions écologiques, par exemple grâce aux matériaux bio-sourcés. Le premier savoir-faire à développer sera donc de mener un diagnostic pertinent sur le bâti ancien pour pouvoir proposer une solution adaptée. Ce dispositif est très structurant pour les jeunes. Plus largement, il permet de requestionner la pédagogie en apportant d’autres relais de transmission.
Bertrand : Les jeunes ont une sensibilité variable aux enjeux de l’éco-réhabilitation. Ce sont un peu deux mondes qui s’affrontent. L’objectif pour nous est de leur montrer qu’on peut tout à fait les articuler. Le fait que le chantier permette aux élèves de participer à la restauration et la valorisation du patrimoine vernaculaire est un argument très fort pour les équipes enseignantes.
Frédéric : Les jeunes, c’est le futur ! L’éco-construction est un tout petit marché, mais il est destiné à grandir. C’est une très bonne chose, surtout pour le bâti ancien : nous constatons une augmentation des cas de mérule à Felletin, phénomène aggravé par des restaurations qui n’ont pas pris en considération le patrimoine, en particulier avec l’usage du ciment qui maintient l’humidité dans les murs. Si l’on veut que ce patrimoine dure, il faut le comprendre et le respecter. L’emploi de l’isolation par l’enduit terre-chanvre, par exemple, a montré de très bons résultats sur le territoire.
Fanny : C’est très significatif que le Campus intervienne dans le centre de Felletin : les jeunes seront fiers de travailler dans leur espace de vie et de participer au changement de regard sur le patrimoine.
Bertrand : Le point commun entre les différents partenaires, c’est qu’ils sont tous passionnés. Les intervenants sont curieux de comprendre ce que font les autres, la transmission coule de source. La passion, c’est le meilleur moteur pour apprendre !