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Les 3 lauréats de l’appel à projets Terre & Fils

Interview croisée de Joël Davesne (L’Oseraie ludique de Marles-sur-Canche), Laure Dangla (Le Castalab du PNR Périgord-Limousin) et Adrien Gautier (Le Laboratoire Organique de Lustar)

T&F

Parmi une foule d’initiatives enthousiasmantes et qualitatives, trois ont retenu l’attention du jury de l’appel à projets lancé par Terre & Fils fin 2023. Châtaignier, terre crue, osier, chacune de ces ressources, fortement liée au territoire dans lequel elle se trouve, réclame un mode d’action singulier et recouvre des enjeux sociaux, économiques et écologiques qui lui sont propres.

Mais au-delà de leur diversité, ces projets sont avant tout une réponse convergente à des problématiques partagées : comment revitaliser les savoir-faire qui ont imprimé leur marque sur le territoire pour en faire un véritable levier de développement ? Comment allier viabilité économique et intérêt général, actions à court terme et transformation structurelle ? Par quels moyens impliquer au maximum les habitants afin que le redéploiement de la filière contribue durablement au développement endogène du territoire ?

La réactivation de ces savoir-faire locaux réclame ainsi un faisceau d’actions cohérentes, soutenues par une vision claire des besoins, des défis et des perspectives. Les trois porteurs des projets lauréats partagent ici leur expérience et leurs objectifs : Joël Davesne, maire de la commune de Marles-sur Canche et porteur du projet « L’Oseraie ludique », Laure Dangla, responsable du pôle animation territoire durable pour le PNR Périgord-Limousin et porteuse du projet « Castalab » et Adrien Gautier, président de l’association du Laboratoire Organique de Lustar (LOL) et porteur du projet « La terre crue, matériau d’hier et de demain ».

Texte : M. Formarier / photos : B. Lesaffre, J. Davesne,Y. Cadart, Terre de Pixel, B. Sourang, le PNRPL, le LOL

© B. Lesaffre

Pouvez-vous replacer le projet que vous portez dans son contexte social et économique ?

Joël Davesne : En 1911, le village comptait 34 vanniers. L’osiériculture s’est traditionnellement implantée ici dans les terres de marais, mais la transformation de cette matière 1ère relève désormais d’un patrimoine qui est en train de disparaître. En 2020, nous avons pris la décision de réhabiliter l’école qui était fermée depuis 12 ans pour la transformer en atelier de vannerie. L’école a finalement retrouvé sa mission initiale de transmission ! Le lieu a ouvert en 2023. C’est Hombeline Cardin qui anime aujourd’hui les ateliers destinés aux enfants et aux adultes.

Hombeline Cardin © J. Davesne

Laure Dangla  : Le Parc naturel régional Périgord-Limousin constitue un bassin d’activités dynamique dans le domaine de la filière bois. Certaines entreprises sont spécialisées dans le châtaignier et sa transformation dans la menuiserie et en vannerie, avec un savoir-faire identitaire qui est celui des feuillardiers. De plus en plus menacés par la perte de ce patrimoine, ces professionnels ont bénéficié de notre accompagnement et se sont réunis en association pour pouvoir mener des projets de façon collaborative. Nous souhaitons donc renforcer cette dynamique en ouvrant un atelier mutualisé et sécurisé de transmission des savoir-faire et de production.

© B. Lesaffre

Adrien Gautier  : Depuis la crise du COVID, le secteur du bâtiment souffre de la pénurie de matériaux et de l’explosion des prix. C’est dans ce contexte qu’est née la Manufacture Distribuée, lauréate du premier AMI pour les Manufactures de proximité en 2022. L’objectif de l’initiative accompagnée par Terre & Fils est de relancer les activités autour de la terre crue, un matériau local, historiquement employé dans le bâti ancien et parfaitement adapté pour l’écoconstruction. Le Laboratoire Organique de Lustar sera ainsi un Open-Lab, c’est-à-dire un lieu-ressource collaboratif où professionnels, chercheurs et habitants pourront mener des expérimentations. Dans le collectif, sont également impliqués Makers&Co, un laboratoire mobile et le RoseLab, un Fablab implanté dans la cité de Toulouse.

© LOL

Quels sont les besoins et les défis que vous avez identifiés pour la réussite de votre projet ?

Joël Davesne : Nous avons d’abord échangé avec la Chartreuse de Neuville, qui n’est pas loin et qui représente pour nous un modèle très inspirant d’innovation sociale. C’est à cette occasion que nous avons découvert Terre & Fils. Nous aurions pu faire un musée de la vannerie, mais cette solution nous apparaissait trop statique. Nous voulions faire vivre le patrimoine et permettre au territoire de renouer concrètement avec son identité. En plus de l’accompagnement financier, nous avons donc besoin de conseils en ingénierie pour mener des actions efficaces à la fois pour la relance de la filière et l’implication de l’ensemble de la population dans cette démarche de revalorisation de l’osier et de la vannerie. L’installation de l’oseraie demande beaucoup de travail et coûte cher. Nous espérons pouvoir lever tous les fonds nécessaires : même si c’est plus facile pour une collectivité, le défi est de taille. Mais comme je le dis souvent, l’important c’est de monter les marches une à une. Il y a des personnes qui font 100 km pour venir participer aux ateliers : c’est déjà une très belle victoire.

© Y. Cadart

Laure Dangla : L’essence du châtaignier présente en soi un beau défi : elle demande un tri rigoureux et réserve bien des surprises. Mais c’est un bois de qualité exceptionnelle. C’est pour tout cela que les professionnels de la filière en sont presque amoureux : il y a quelque chose qui se passe entre la personne et la matière. Le chantier que nous envisageons réclame beaucoup d’investissement, à la fois pour l’achat des machines à bois courantes et spécifiques, mais aussi pour pouvoir former au mieux des professionnels qui maîtrisent les savoir-faire du châtaignier. Ils ne sont plus si nombreux, car beaucoup sont partis à la retraite. L’enjeu de transmission et de formation est donc crucial. De plus, nous voulons aussi que cet atelier puisse être un lieu-ressource destiné à la société locale. À nous de réfléchir encore selon quelles modalités, car l’utilisation de ce genre de matériel réclame de la prudence, mais l’ouverture du lieu au plus grand nombre reste un objectif fort pour le Parc.

© PNRPL

Adrien Gautier : Comme beaucoup de territoires ruraux reculés, le village de Trie-sur-Baïse où le Laboratoire Organique de Lustar est implanté connaît des difficultés structurelles, liées à l’éloignement des centres d’activités. Les jeunes partent tous à Toulouse ! En rachetant l’ancienne briquèterie, la Manufacture Distribuée se mobilise pour relancer la filière de la terre crue et offrir aux habitants la possibilité de contribuer localement à l’économie du territoire. Il faudra donc réussir à impliquer au maximum les différents acteurs, professionnels et particuliers. Nous avons aussi remis en marche des machines anciennes pour offrir, dans un premier temps, la possibilité aux entreprises d’effectuer des prototypes et d’expérimenter les nombreuses possibilités du matériau. Un des grands défis de ce projet sera donc d’articuler le caractère traditionnel des savoir-faire et une démarche innovante, tournée vers la transition écologique.

le chantier de l’atelier / © LOL

Quelle serait pour vous la situation idéale dans 5 ans ?

Joël Davesne : L’atelier serait pleinement opérationnel, avec le développement des activités que nous menons déjà aujourd’hui, pour la formation et la production. L’oseraie ludique serait terminée et entretenue par un osiériculteur professionnel travaillant de manière complémentaire avec Hombeline. Il y aurait une zone de production et une zone ouverte au grand public, particuliers, scolaires, personnes âgées. Dans l’idéal, le nom de Marles-sur-Canche serait de nouveau associé à la vannerie !

Hombeline Cardin © J. Davesne

Laure Dangla : La structure aurait un fonctionnement administratif bien huilé pour la mise en commun des ressources et des outils pour les professionnels, mais aussi pour l’ouverture au public, la sensibilisation des futurs professionnels et la découverte de la filière. Nous aurions ainsi mis en place les meilleures synergies pour répondre aux besoins du marché. Le programme enfin s’inscrirait parfaitement dans le cadre des actions menées en faveur d’une bonne gestion des forêts locales, grâce à un développement cohérent qui capitalise sur ce que l’on est et ce que l’on fait déjà.

un fauteuil réalisé par Pascal Raffier / © B. Sourang

Adrien Gautier : L’Open-Lab serait un lieu incontournable pour le travail de la terre crue. Son dynamisme rayonnerait dans l’ensemble du territoire, non seulement à l’échelle locale, mais plus largement dans la région. Outre le prototypage, nous serions capables de partager des outils de production pour les chantiers, en particulier pour le bâti éco-conçu. Les actions menées par le Laboratoire Organique de Lustar, Le RoseLab et Makers&Co alimenteraient ainsi une stratégie de développement cohérente à la fois pour l’entrepreneuriat de savoir-faire et l’intérêt général.

le chantier de l’atelier / © LOL