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Point d’étape pour le programme RESPIR

Entretien avec Olivier Cagnon, maire de Felletin et Margot Aubaret, la FA’brique à Initiatives (Creuse)

T&F

Le programme RESPIR (Réactiver et Entretenir Ses Patrimoines par l’Innovation en Ruralité) a été lancé en janvier 2024 à l’initiative de Terre & Fils. Co-financée par la fondation RTE, cette démarche collective se singularise par son caractère interdisciplinaire et son approche transversale et expérimentale.

Appréhendant la pluralité des patrimoines matériels et immatériels présents sur le territoire de Felletin, elle permet à une diversité d’acteurs locaux de se réunir autour de la même table afin d’imaginer ensemble des solutions collectives inédites à des problématiques sociétales partagées, notamment pour la revitalisation et la valorisation des savoir-faire historiques de la Creuse. Dans cette perspective, les patrimoines identifiés sont considérés avant tout comme des leviers de cohésion et de développement au service du territoire, de ses habitants et de la transition écologique.

Pourquoi avoir conçu et lancé RESPIR ? Rappel de la démarche par Ariane Vitou, Pilote du programme

Nous observions avec Laure Lignon, directrice de Terre & Fils, qu’il y avait peu d’interaction entre les acteurs de la culture et des patrimoines d’une part et les acteurs de l’innovation sociale et territoriale d’autre part. Or, à travers le soutien de Terre & Fils aux savoir-faire locaux, nous constations combien la valeur patrimoniale a une dimension émotionnelle et fédératrice qui permet de faire vivre le sentiment d’appartenance au territoire. Avec RESPIR, nous avons souhaité comprendre à quelles conditions on peut activer cette valeur patrimoniale pour en faire un vecteur de dialogue démocratique, de lien entre acteurs et surtout une source de projets structurants pour le territoire. Notre hypothèse, c’est que cette lecture patrimoniale peut permettre aux acteurs locaux, non seulement de prendre conscience de leurs patrimoines en commun, mais aussi de donner l’impulsion nécessaire à des démonstrateurs territoriaux qui viennent catalyser l’énergie collective : des projets enracinés « ici » et rayonnants « au-delà », qui permettent de faire vivre la diversité culturelle, non pas dans une perspective d’attractivité touristique, mais à travers la structuration d’écosystèmes résilients et singuliers fondés sur les savoir-faire et patrimoines locaux et nourris par l’ingénierie de coopération.

Olivier Cagnon, maire de Felletin et Margot Aubaret, la FA’brique à Initiatives, nous éclairent sur les avancées du programme.

Pourriez-vous rappeler, en guise de présentation, les raisons pour lesquelles vous avez été sollicités par Terre & Fils pour participer au programme RESPIR ?

Margot : La FA’brique à Initiatives est un dispositif national dont les différentes antennes soutiennent localement divers projets de développement avec toujours pour objectif de construire des solutions collectives à des problématiques partagées. Cette approche est exactement celle de RESPIR : je suis donc là pour animer le programme au niveau local, en particulier pour réunir les différents acteurs du territoire et les accompagner dans l’opérationnel. La richesse des points de vue mobilisés lors des temps de réflexion constitue vraiment le point fort de RESPIR.

Olivier : Je suis maire de la commune de Felletin depuis octobre 2024. Je connaissais déjà l’action menée par Terre & Fils avec Lainamac, et j’ai tout de suite eu confiance dans le programme RESPIR. Pour nous, élus locaux, la valorisation des patrimoines est indispensable au développement des filières, comme celle de la laine par exemple, mais aussi pour faire du commun et de la cohésion sociale au service de la transition écologique. Cela se manifeste par une plus grande coopération entre les gens du cru et les néo-creusois, mais aussi par une meilleure appréhension des enjeux écologiques, y compris par les acteurs qui étaient réticents dans un premier temps. Cette valorisation des patrimoines est enfin un motif de fierté pour les habitants du territoire. Un bon exemple à citer, ce sont les Journées de la laine qui permettent d’aller au-delà du clivage entre associations et commerçants et de réunir tout le monde autour d’une même matière. RESPIR, c’est avant tout une démarche plus qu’un projet : l’objectif n’est pas de forcer les gens, mais de les inviter à s’investir et coopérer sur le long terme.

Quels sont les patrimoines qui seront prioritairement valorisés dans le cadre du programme RESPIR ?

Olivier : Les actions menées aujourd’hui suivent deux axes principaux. Tout d’abord, la valorisation du patrimoine du bâti avec la participation du LMB (Lycée des Métiers du Bâtiment) et du Campus régional du patrimoine bâti, de la restauration à l’écoconstruction. RESPIR permet de catalyser les énergies et de soutenir le vent de renouveau qui souffle dans cette filière. Cette dynamique touche autant le patrimoine matériel avec les enjeux de restauration, que le patrimoine immatériel par le renforcement de l’offre de formation grâce au Campus ou encore à Lainamac. Le second patrimoine convoqué est celui du textile, en particulier la filature de la laine, qui fait la renommée de Felletin, et la tapisserie d’Aubusson. D’autres pistes sont envisagées comme la valorisation de l’occitan ou des cultures paysannes : la réflexion n’est pas terminée !

Margot : L’idée de RESPIR, ce n’est pas de pointer du doigt les patrimoines remarquables, mais plutôt de rendre visibles des patrimoines qui ne sont pas considérés à leur juste valeur. Trois démarches d’enquête ont été menées en parallèle par l’Association Patrimoniale Internationale, Dexteris et la FA’brique à Initiatives. L’enjeu est justement d’articuler différentes échelles et plusieurs approches complémentaires afin de traiter deux volets stratégiques : l’identification et la mobilisation des patrimoines du territoire afin de répondre ensuite à des problématiques de développement qui sont à la fois courantes en ruralité et propres au territoire de Felletin. Le défi pour RESPIR sera notamment de soutenir les dynamiques déjà à l’œuvre sur le territoire, tout en les incitant à aller un cran plus loin, en prenant en compte les enjeux liés au changement climatique par exemple. Maintenant que ces enquêtes ont été réalisées, nous avons entamé depuis février 2025 une nouvelle phase. Avec l’aide de la mairie, nous avons d’ores et déjà organisé 4 sessions de travail réunissant une vingtaine d’acteurs différents ; certains participent au programme depuis le début, d’autres, comme la Fédération française du bâtiment, nous ont rejoints. Ces temps de réflexion et d’échanges ont permis à tous ces acteurs de mieux se connaître, d’ouvrir des portes, en quelque sorte, et d’envisager concrètement l’opérationnel.

Quelles sont les actions concrètes que vous menez aujourd’hui et que vous envisagez à l’avenir pour valoriser ces patrimoines ?

Margot : Nous suivons deux axes principaux dans nos actions. Tout d’abord, nous souhaitons faire de Felletin un village-pilote pour l’éco-réhabilitation. Concrètement, nous lancerons des chantiers-école qui mobiliseront les savoir-faire traditionnels et plus récents du bâti, et rendrons ainsi visible ce patrimoine de façon systémique afin de susciter un effet d’entraînement sur ces pratiques et de solidifier les filières locales. Nous allons commencer par la restauration du « petit patrimoine » hydraulique des puits et des fontaines, et nous nous attellerons plus tard à la réhabilitation d’une lampisterie. Ce bâtiment accolé à la gare, destiné à l’origine à l’entretien des lampes, deviendra d’ici deux à trois ans un abri convivial pour les voyageurs. À plus long terme, nous aimerions aussi restaurer un bâtiment plus imposant en centre-bourg, dont l’usage sera défini grâce au travail des étudiants du Campus, peut-être pour valoriser l’ensemble des patrimoines locaux… Le second axe que nous travaillons actuellement est le renforcement de la coopération entre les différentes sphères des patrimoines. Le défi est de développer des actions intersectorielles, qui permettent aux acteurs locaux de croiser leur expérience et leurs savoir-faire, par exemple lors des Journées Européennes des Métiers d’Art, ou encore pour obtenir la labellisation « Petites cités de caractère ». L’objectif à terme est de contribuer à des logiques de coopération qui favorisent la mutualisation des ressources et le partage autour des modèles économiques afin de contribuer à la résilience des acteurs.

Olivier : Ces actions concrètes mobilisent énormément les acteurs du programme. Pour être tout à fait honnête, je craignais au départ qu’ils s’essoufflent car chacun a un agenda déjà bien chargé. Mais aujourd’hui, on remarque au contraire que cette mobilisation se renforce. C’est bien la preuve que RESPIR fonctionne ! Je pense que le principal défi à présent sera de mettre en récit la démarche, de la traduire en un langage accessible. À ce titre, le chantier-école a cette capacité d’interpeller tout un chacun et de reprendre le fil de l’histoire de façon compréhensible et visible. Il confère aussi au programme de la légitimité, indispensable pour envisager les levées de fonds qui seront nécessaires à la poursuite des actions menées.

Margot : Oui, nous saluons vraiment l’engagement des acteurs locaux qui manifestent tous une forte envie de coopérer. Je suis persuadée que cette envie était déjà là, et que RESPIR lui permet maintenant de s’épanouir. Les patrimoines parlent au cœur des gens, il y a une vraie dimension sentimentale. Finalement, chacun souhaite la même chose, mais ne le dit pas de la même façon !