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© Robert Guinot / La Montagne

Présentation du programme RESPIR lancé par Terre & Fils avec la Fondation RTE

Entretien avec Ariane Vitou, coordinatrice du projet

T&F

Lancé par le fonds de dotation Terre & Fils et co-financé par la Fondation RTE, le programme RESPIR (Réactiver et Entretenir Ses Patrimoines par l’Innovation en Ruralité) déploie depuis janvier 2024 sa phase pilote dans la Creuse, en étroite coordination avec la Mairie de Felletin.

L’objectif de cette initiative, pilotée par Ariane Vitou, est d’identifier de façon collaborative les patrimoines matériels et immatériels du territoire afin de créer une lecture partagée par les différents acteurs en place, de susciter l’envie d’agir en commun pour leur préservation et leur valorisation afin d’en faire des leviers de coopération au service d’un développement local durable. Il s’agira plus précisément de concevoir et déployer un accompagnement mobilisant plusieurs expertises permettant de révéler les ressources patrimoniales, les besoins et capacités du territoire, ainsi que des projets. Une première étape clé s’est déroulée les 27 et 28 juin avec le partage aux acteurs du territoire des diagnostics.

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Quels sont les défis majeurs de RESPIR ?

La visée essentielle du programme est d’identifier des leviers d’attachement au territoire qui ont la capacité de fédérer les acteurs locaux dans des projets structurants, en partant des ressources patrimoniales, qu’elles soient matérielles ou immatérielles. Cette connaissance partagée du territoire est cruciale pour susciter l’adhésion et la coopération. Notre expérience nous l’a prouvé à de nombreuses reprises : les recettes de la ville ne fonctionnent pas en milieu rural. Nous avons donc conçu, avec la Fondation RTE qui œuvre pour la cohésion sociale de ces territoires ruraux, un programme qui part spécifiquement des problématiques de ces derniers autour de quatre défis majeurs en lien avec les patrimoines locaux, que nous devrons appréhender de façon systémique afin de construire un accompagnement sur mesure. 

Notre expérience nous l’a prouvé à de nombreuses reprises : les recettes de la ville ne fonctionnent pas en milieu rural.

Ariane Vitou, coordinatrice du projet RESPIR

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Le patrimoine culturel rural, comme on le sait, est en danger. Il risque de disparaître sous la pression de l’uniformisation des territoires si l’on n’entame pas une véritable démarche de préservation et de réinvention des usages.  Le « patrimoine humain » en ruralité est aussi particulièrement fragile : le lien social s’amenuise du fait du déclin démographique mais est aussi mis à rude épreuve par les tensions qui peuvent émerger entre les autochtones et les néo-ruraux. L’absence de dialogue et de coopération peut entraîner un repli sur soi et la polarisation du territoire. Par ailleurs, les problématiques économiques sont particulièrement sensibles en ruralité : le patrimoine industriel est souvent à l’état de déprise voire d’abandon et les filières locales ont besoin d’être soutenues, aussi bien financièrement qu’en ingénierie. Notre volonté est de leur offrir un accompagnement adapté, qui réponde aux enjeux de la transmission des savoir-faire et de la transition écologique. Cela nous amène au dernier défi, concentré sur le patrimoine naturel. Nous souhaitons en effet favoriser une meilleure connaissance des spécificités naturelles et paysagères, pour mieux les préserver et valoriser le lien à la terre et au territoire.

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Pourquoi avoir choisi le territoire de Felletin pour la phase pilote ?

Cette commune rurale nous semblait rassembler toutes les caractéristiques pour héberger notre initiative : comme beaucoup d’autres, elle perd structurellement des habitants. Mais elle s’est emparée du problème en devenant un catalyseur d’initiatives : soutenue par la région Nouvelle-Aquitaine, très active en particulier sur les questions de l’éco-conception, elle mène depuis plusieurs années un travail de fond sur la valorisation de son patrimoine territorial.

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On peut citer par exemple le projet Lainamac, lauréat en 2021 du prix Terre & Fils dans le cadre du programme Innover à la campagne, qui développe et structure la filière de la laine locale, mais aussi le plan d’investissements pour la rénovation du Lycée des Métiers du Bâtiment (LMB), qui offre en particulier des formations autour de la restauration du bâti et la construction écologique, ou bien encore le projet soutenu par la Fondation Humus sur le plateau de Millevaches, qui vise à étudier, faire connaître, préserver et valoriser la biodiversité forestière.

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Ces projets constituent des maillons incontournables pour notre programme, car ils apportent d’ores et déjà des solutions et des actions concrètes pour le développement des ressources patrimoniales locales. Ils nous permettent ainsi d’identifier les leviers à activer pour aller plus loin dans la coopération entre acteurs déjà conscients de l’importance des patrimoines pour préserver les conditions d’habitabilité du territoire. Avec la Fondation RTE, nous soutenions déjà des acteurs locaux, ce qui nous permettait d’avoir une connaissance fine des dynamiques en présence et des personnes ressources – ce qui indispensable quand on représente des Fondations basées à Paris. Et surtout, la Mairie de Felletin a témoigné dès le début d’un vif intérêt pour le programme.

Ces projets constituent des maillons incontournables pour notre programme, car ils apportent d’ores et déjà des solutions et des actions concrètes pour le développement des ressources patrimoniales locales.

Ariane Vitou, coordinatrice du projet RESPIR

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En quoi le caractère hybride du projet est-il un véritable atout ?

RESPIR est un projet hybride à plusieurs égards. Il s’appuie sur une grande transversalité des enjeux et des outils, puisqu’il touche à la fois au naturel, au culturel et à l’industriel. C’est en documentant cette lecture transversale des patrimoines matériels et immatériels que nous allons pouvoir reprendre de la hauteur sur l’histoire et la géographie du territoire, afin d’identifier les actifs singuliers qui peuvent être des vecteurs de coopération et alimenter des projets durables et fédérateurs. Aussi les acteurs mobilisés représentent-ils la diversité du territoire : les élus, les institutions, les entreprises, les associations et les habitants.  Notre ambition est de pouvoir faire émerger à long terme une forme de gouvernance territoriale qui soit le garant de l’intérêt commun du territoire.

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Cette diversité nous la retrouvons au sein de notre consortium : notre proposition d’accompagnement agrège des expertises complémentaires avec l’accompagnement de projet de territoire par la Fabrique à initiatives de la Creuse, le changement systémique par la Fabrique des transitions, la patrimonialisation par l’Association patrimoniale internationale et le développement local par les métiers d’art et le patrimoine vivant par Dexteris. Grâce à ce caractère hybride, le projet garde toujours en ligne de mire de croiser les points de vue et composer les savoirs pour construire la coopération.

Notre ambition est de pouvoir faire émerger à long terme une forme de gouvernance territoriale qui soit le garant de l’intérêt commun du territoire.

Ariane Vitou, coordinatrice du projet RESPIR

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Quelles sont les grandes étapes envisagées pour 2024/2025 ?

Le programme RESPIR s’inscrit dans le temps long, car il est important de soigner chaque étape pour que l’accompagnement, in fine, réponde aux besoins du territoire en matière d’activation patrimoniale. Sa première phase vient de s’achever avec la présentation des conclusions d’un diagnostic complet sur les relations inter-acteurs, les filières et les métiers d’art actifs et la perception par la société civile de « ce qui fait patrimoine ».

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Ces restitutions ont lancé une phase de croisement de regards et nous permettent de nous projeter sur notre prochain rendez-vous en septembre, avec en particulier des résidences de territoire destinées à faire émerger des idées et envies d’agir en commun. Ces pistes seront ensuite formalisées et portées par l’instance locale que nous souhaitons initier pour avoir un garant dans le temps long de l’appropriation de cette activation patrimoniale par le territoire.

Il s’agit là d’une phase pilote et nous apprenons beaucoup de cette approche expérimentale avant de pouvoir ensuite envisager un essaimage dans d’autres communes et une dynamique de cohorte apprenante entre pairs.

article paru dans La Montagne