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© Atelier Pinton

Renforcer les coopérations entre les filières sud-creusoises dans le cadre du programme RESPIR

Regards croisés de Renée Nicoux (les Maçons de la Creuse), Jacques Chabrat (Felletin Patrimoine Environnement) et Géraldine Cauchy (Lainamac)

T&F

Le programme RESPIR, lancé en janvier 2024 à l’initiative de Terre & Fils et cofinancé par la Fondation RTE pour les Ruralités, poursuit aujourd’hui deux axes de travail. Le premier va s’articuler, à partir de septembre 2025, autour de trois chantiers-école à Felletin dans le dessein de vivifier le patrimoine bâti au contact des savoir-faire de l’éco-construction. Le second vise à renforcer les coopérations entre les différentes filières du territoire sud-creusois, en particulier celles de la construction et du textile.

L’objectif de cette démarche transversale et expérimentale est de consolider et d’initier des actions collectives qui impliquent différents acteurs locaux dont les objectifs convergent, notamment pour la valorisation des patrimoines matériels et immatériels au service du territoire, de ses habitants et de la transition écologique.

Renée Nicoux, ancienne maire de Felletin et présidente de l’association Les Maçons de la Creuse, Jacques Chabrat, président de l’association Felletin Patrimoine Environnement et Géraldine Cauchy, directrice de l’association Lainamac témoignent ici de leur implication et des premiers impacts positifs du programme RESPIR dans l’écosystème local.


© Les Maçons de la Creuse

Renée Nicoux, ancienne maire de Felletin, est désormais présidente de l’association Les Maçons de la Creuse. Celle-ci s’attache depuis 1997 à faire connaître l’histoire de ces « paysans bâtisseurs » aux savoir-faire exceptionnels. En réalité, ceux qu’on appelle les « maçons de la Creuse » pouvaient être tailleurs de pierre, terrassiers, paveurs, couvreurs, charpentiers, tuiliers, peintres, etc. et  participaient à des chantiers de construction partout en France durant une grande partie de l’année, d’où l’emploi du terme « migrations » pour évoquer leurs multiples voyages sur l’ensemble du territoire.

« L’association est issue des travaux réalisés par une petite association de village. La démarche collective a pris de l’ampleur suite au succès rencontré par différentes animations et réalisations : conférences, expositions, production du vidéogramme « Gabriel, Sylvain, Amédée et autres maçons migrants… » à partir d’enregistrements des derniers témoins de la migration, puis la participation à la marche organisée en 1992 jusqu’à Paris sur les traces de Martin Nadaud. L’association « les Maçons de la Creuse » a été créée en 1997, atteignant rapidement les 300 adhérents au niveau national. Depuis cette date, elle propose chaque année un bulletin qui retrace les actions et fruits des recherches menées dans l’année, comme les sorties organisées sur les traces de ces migrants du bâtiment, la recherche de chantiers ou de parcours emblématiques, ou encore les nouveaux itinéraires créés dans le département pour mieux connaître notre patrimoine. Notre objectif est de permettre au grand public de découvrir et de lire différemment le patrimoine bâti, d’en connaitre l’histoire et les spécificités, d’identifier les techniques employées. Cela fait donc 40 ans que nous accumulons des connaissances en faisant appel à des historiens spécialisés, mais aussi à des bénévoles qui ont également une expertise dans les techniques locales du bâti ancien.

© Les Maçons de la Creuse

Orientée sur la préservation et la connaissance de l’histoire de ce mouvement migratoire, l’association, devant l’intérêt porté aux savoir-faire spécifiques des maçons, a initié la création de « Bâti et savoir-faire en Limousin », association sœur,  qui a œuvré pendant une quinzaine d’années à la transmission des savoir-faire traditionnels. Elle a ainsi organisé des stages de formation et d’initiation à différentes techniques et mis en place des chantiers références, en faisant la promotion de l’utilisation de matériaux bio-sourcés tels que ceux utilisés par nos aïeux.

© Campus du patrimoine bâti

C’est cette vision historique et patrimoniale que l’association apporte au programme RESPIR. Il est indispensable que la nouvelle génération sache ce que l’on doit à ces « paysans bâtisseurs », d’autant que les techniques de l’éco-construction font écho aux techniques traditionnelles employées par les Maçons de la Creuse : ceux-ci faisaient du développement durable sans le savoir ! Ils utilisaient des matériaux naturels et locaux comme la pierre, le bois, le sable et la chaux, et le réemploi était une évidence pour eux.

Grâce au programme RESPIR, des acteurs très différents se sont réunis autour de la table pour identifier les pistes à explorer afin de donner leur place aux savoir-faire du patrimoine bâti. RESPIR est la cheville ouvrière de cette coopération. Le rôle de Margot Aubaret est primordial car il apporte une animation rigoureuse, avec des comptes-rendus précis. C’est elle qui permet de consolider les liens. »

© Campus du patrimoine bâti

Jacques Chabrat est président de l’association Felletin Patrimoine Environnement qui anime très régulièrement des événements destinés au grand public autour des savoir-faire et du patrimoine, comme les désormais célèbres Journées internationales de la laine à Felletin.

« Depuis la création de la communauté de communes en 1989, l’association est chargée de la valorisation touristique du patrimoine pour le grand public. Nos compétences se déclinent principalement en deux axes : la visite d’entreprise, comme la filature Terrade, la manufacture Pinton ou encore la diamanterie ; et la tenue d’une boutique permanente spécialisée dans les produits de la laine. Nous collaborons étroitement avec Lainamac. L’association organise aussi des événements ponctuels comme les Journées Internationales de la Laine à Felletin, avec notamment l’opération « Tricot sur la ville » qui mobilise beaucoup les habitants.

© Felletin Patrimoine Environnement

Le programme RESPIR va nous permettre de mieux nous faire connaître auprès des professionnels et du grand public. Grâce aux coopérations mises en place, nous allons pouvoir consolider le travail déjà accompli et envisager de nouvelles perspectives. Par exemple, avec le chantier en éco-construction destiné à réhabiliter l’immeuble communal dans lequel est installée la boutique, la valorisation des savoir-faire va prendre une autre tournure. L’avantage que nous avons, c’est que nous disposons déjà d’une permanence, en plus des bénévoles. Avec ce projet, on pourra envisager de constituer un vrai noyau dur de salariés, et d’élargir plus tard notre action vers d’autres savoir-faire que la laine, notamment en lien avec la diamanterie.

© Atelier Pinton

L’intérêt de ce programme, c’est aussi de nous permettre de prendre de la hauteur par rapport aux actions menées et à notre façon de faire. Quand on a « la tête dans le guidon », ce n’est pas évident. Un regard extérieur est toujours bénéfique. La réflexion collective nous fait avancer et nous permet de faire connaissance avec de futurs nouveaux partenaires. »

© Filature Terrade / Faustine Rimareix

Géraldine Cauchy est directrice de l’association Lainamac qui œuvre pour la valorisation des laines locales grâce à un centre de formation destiné aux professionnels de la filière et des actions collectives comme l’opération « Oh my laine ! » organisée chaque année dans une galerie parisienne.

« L’association Lainamac a été créée en 2009, dans une démarche territoriale de filière. Les acteurs déjà engagés dans les savoir-faire historiques de la tapisserie se sont investis naturellement dans la filière de la laine, en particulier dans le secteur de la décoration qui constitue un domaine d’expertise de la Creuse. Nous avons monté un centre de formation technique destiné aux professionnels, par exemple aux jeunes diplômés des écoles de design et d’arts appliqués, aux éleveurs ovins ou encore aux entreprises du secteur textile qui souhaitent proposer une formation supplémentaire à leurs collaborateurs ou bien se réapproprier des gestes artisanaux. Nous menons en parallèle des actions collectives en collaboration avec la plus grande coopérative de laine du territoire qui souhaite aujourd’hui valoriser les 80 tonnes de laine locale produites chaque année : nous les aidons à sécuriser leur marché, à se mettre en relation avec de nouveaux clients, mais aussi à assurer le suivi qualité de la laine et de sa transformation. Nous organisons également chaque année dans une galerie éphémère parisienne l’opération « Oh my laine ! » qui permet de donner de la visibilité à une quinzaine d’entreprises que nous accompagnons dans le cadre du centre de formation.

© Lainamac

Nous sommes depuis quelques années en relation étroite avec Terre & Fils : le choix de Felletin pour le programme RESPIR n’est pas un hasard ! Nous représentons bien sûr la filière de la laine, mais ce qui nous intéresse surtout, ce sont les enjeux de coopération entre les différentes filières du territoire. En Sud-Creuse, le tissu associatif est très dense, mais on a tous tendance à rester dans une approche « en silo » : chacun reste concentré sur ses actions et son domaine. L’intérêt de RESPIR est d’alerter justement sur les avantages qu’on retire en s’intéressant à ce que les autres font : loin d’être une perte de temps, cette démarche permet au contraire d’être ensuite plus rapide et plus fluide, surtout quand les bonnes habitudes sont bien ancrées.

© Lainamac

Les coopérations entre acteurs locaux permettent de répondre aux enjeux de pérennité, qui sont cruciaux pour les associations : par exemple, nous apportons notre soutien aux Journées Internationales de la Laine organisées par Felletin Patrimoine Environnement. Ces journées sont très connues, mais les maintenir reste un défi ! Le programme RESPIR va permettre de renforcer notre visibilité, notre solidarité, notre cohérence et donc la confiance des investisseurs. Ce qu’on peut faire ensemble, il faut l’enclencher ! Enfin, l’expérience de Lainamac nous permet d’apporter aux jeunes acteurs du programme des outils pour se consolider et se développer, en montrant par exemple quelle méthode adopter pour solliciter un partenariat avec un acteur public. Nous sommes très heureux de pouvoir jouer ce rôle d’accompagnement et de transmission, c’est très stimulant ! »