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Retour d’expérience sur le projet Entreprendre la ruralité : la mesure d’impact

Entretien avec Emmanuel Rivat, Agence Phare

T&F

Emmanuel Rivat, docteur en sciences politiques, dirige l’agence Phare, spécialisée dans la mesure d’impact, en particulier pour les projets menés par des associations, des fondations ou encore des acteurs publics. Il revient ici sur l’expérimentation menée durant 3 ans dans le cadre du projet Entreprendre la ruralité, notamment sur l’impact territorial de cette initiative collective.

Lancé en 2021 par la Fondation Entreprendre, Terre & Fils, la Fondation RTE, et AG2R La Mondiale, ce projet a sélectionné quatre associations : Airelle (Nouvelle-Aquitaine), ATIS (Nouvelle-Aquitaine), La Chartreuse de Neuville (Hauts-de-France) et Ronalpia (Auvergne-Rhône-Alpes). Celles-ci ont accompagné des projets sur leur territoire visant à consolider le maillage entrepreneurial autour des ressources locales, notamment des savoir-faire. Le programme a été accompagné par Agence Phare sur la mesure d’impact en partenariat avec Impact Track, et l’agence Les Petites Rivières sur la dimension recherche et développement. Des ponts concrets ont sans cesse été dressés entre ces deux sujets.

Comment s’est déroulée cette mesure d’impact durant les 3 années du projet ?

Le projet Entreprendre la ruralité s’appuyait sur une dynamique collective forte : quel impact ce programme a-t-il eu sur les lauréats et leurs compétences d’accompagnement ? Sur les porteurs de projets et l’entrepreneuriat de territoire ? Sur la vie des habitants et l’engagement citoyen ?

Pour répondre à ces problématiques et construire une mesure d’impact robuste et utile, nous avons privilégié avant tout une démarche participative afin de construire des indicateurs communs entre lauréats et financeurs. Cette démarche s’est déroulée sur plusieurs ateliers, entre lesquels les remontées de terrain ont été nécessaires pour affiner le diagnostic et les ressources à mobiliser.

Nous avons également adopté une démarche qualitative, par le biais d’entretiens menés avec les financeurs, les lauréats et les porteurs de projets, afin de comprendre comment les ressources du programme étaient mobilisées concrètement, quels était les freins rencontrés et les solutions envisagées.

Enfin, nous avons élaboré et réalisé une étude quantitative de l’impact grâce à des questionnaires transmis aux acteurs locaux : l’objectif était de savoir exactement combien de personnes ont été touchées par le programme, dans quelle mesure celui-ci a permis de progresser en compétences et de construire de nouveaux liens entre les différents partenaires.

Quelles étaient les problématiques spécifiques liées aux savoir-faire locaux ?

La première difficulté, pour les membre du programme et la mesure d’impact, a été d’appréhender précisément la notion de savoir-faire local et de dresser une typologie précise en lien avec les territoires. La définition de savoir-faire locaux peut, en effet, fortement varier en fonction de l’identité et de la mémoire des territoires. L’enjeu était donc de développer une vision commune entre les différents lauréats et financeurs et de mettre en place des outils d’évaluation cohérents pour la mesure d’impact.

L’organisation d’un atelier par Terre & Fils a été déterminante dans cette étape, car tous les partenaires ont pu ainsi comprendre et s’approprier une définition partagée des savoir-faire qui a ensuite nourri la réalisation d’un diagnostic pertinent à l’échelle locale.

Puis nous avons avancé, au sein du programme sur trois plans.

1- Reconnaître que la prise en compte des savoir-faire locaux est un facteur de l’ancrage et de l’impact des projets sur les territoires.

2- Souligner que la reconnaissance des savoir-faire locaux favorise, pour les entrepreneurs, l’émergence de nouvelles coopérations, notamment avec les collectivités.

3- Et donc affirmer qu’il faut soutenir l’entrepreneuriat de territoire dans ses différentes composantes : économique, citoyenne et culturelle.

Ainsi, les lauréats ont pu identifier correctement les filières locales pour ensuite accompagner et valoriser les porteurs de projets de façon autonome. Tout l’intérêt du programme, y compris dans le secteur des savoir-faire, était de proposer un accompagnement sur mesure, sans adopter une politique de guichet comme cela est fait habituellement.

Quel bilan faites-vous de l’accompagnement des projets de savoir-faire ?

Dans le cadre du projet Entreprendre la ruralité, plus de 1 000 porteurs de projet potentiels ont été sensibilisés, et près de 200 porteurs de projets ont été accompagnés. Parmi ceux-ci, 26% dans le secteur des savoir-faire, notamment dans les filières de la verrerie et de la céramique, de la couture et de la dentelle, de l’ébénisterie et de la menuiserie.

Il s’agit aussi d’un programme qui a permis de rapprocher les écosystèmes associatifs, entrepreneuriaux et les collectivités. On constate que 51% des porteurs accompagnés ont collaboré avec des collectivités territoriales et des communes, et 43% d’entre eux ont collaboré avec des entreprises. On note donc une répartition plutôt équilibrée entre les acteurs publics et privés.

Sur le terrain, les lauréats ont assuré un accompagnement qualitatif, privilégiant le collectif et la proximité, en organisant par exemple des événements comme la Chartreuse de Neuville pour la céramique, ou bien des résidences citoyennes notamment en Nouvelle-Aquitaine avec l’association ATIS.

Le principal enjeu désormais pour les lauréats et les porteurs de projets est de capitaliser les ressources construites collectivement lors du programme, en consolidant les partenariats sur leur territoire, voire entre les différents territoires dans le cadre d’une collaboration entre pairs.