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Décembre 2021
T&F
Depuis les manufactures royales, l'implantation territoriale des manufactures est intrinsèquement liée aux ressources locales. Cette géographie singulière, Terre & fils a tenté de l'explorer à travers un état des lieux en collaboration avec le sociologue Yoann Sidoli et le géographe Andrey Hernández Meza : « Originalité et effets de la Manufacture patrimoniale ».
Entre 1661 et 1683, Colbert, principal ministre d’État de Louis XIV est à l’origine de la création de 25 manufactures nationales d’État qui furent l’emblème de l’expansion industrielle de la France, et d’une politique tournée vers l’excellence des savoir-faire : les manufactures royales.
L’ancrage de ces manufactures s’explique d’abord par la localisation des ressources naturelles. Kaolin, grès, quartz, potasse, silice, plomb, rivières : les manufactures royales s’implantent là où il y a des gisements de matières premières pour fabriquer les produits, et l’énergie nécessaire à leur transformation (bois de chauffe et énergies hydrauliques). Disponibles en surface ou en sous-sol, les matières premières sont d’ordre minéral, végétal (bois, fibres, pigments) ou animal (laine, cuir).
Par exemple si l’on observe l’implantation des manufactures royales textiles de 1661 à 1766, on remarque qu’elles s’implantent à proximité d’élevage des moutons pour produire de la laine, d’élevage de muriers pour tisser la soie, de rivières, fleuves, canaux et forêts pour produire l’énergie nécessaire à leur bon fonctionnement, et à proximité d’axes de transports afin d’acheminer leurs produits.
Les manufactures royales de cristal sont principalement implantées sur la partie centre-est du pays. Deux bassins de production multiséculaires sont localisés : les glaces et les miroirs sont fabriqués dans la région de Lille, et le cristal en Alsace-Lorraine.
À cette époque, l’implantation territoriale des manufactures royales de verres, de glaces et de cristal résulte de deux facteurs : la localisation des gisements et l’énergie nécessaire à leur transformation. Le cristal résulte en effet de l’assemblage de trois composants : la silice, la potasse et le plomb. Or, les sols alsaciens en regorgent. De plus, toutes les ressources naturelles soutenant la production de cristal y sont largement disponibles : sable, grès, bois, eau.
Même constat pour les manufactures de céramiques que l’on retrouve principalement là où les sols étaient argileux, notamment dans la vallée de la céramique, le long du canal du Centre.
La production de faïence requiert des sols argileux qui fournissent le matériau de base, ensuite recouvert d’un glaçage. La fabrique de ce dernier nécessite des éléments précis : silice, alcalins comme la potasse, alcalins terreux comme la chaux. À ces composants s’ajoute le bois, dès lors que la faïence nécessite de passer dans des fours dont la température peut atteindre 1400°C.
La production de porcelaine, elle, est constituée de trois minéraux : le kaolin, le quartz et les feldspaths. Le kaolin, élément de base dans la fabrication de « porcelaine dure » se trouve principalement dans les sols de Sèvres, au sud de Paris, où se situe justement l’un des plus importants ateliers de porcelaine. À l’inverse, la porcelaine tendre, celle qui exclut le kaolin, est produite dans des zones aux sols caractérisés par une lithologie non granitique, comme c’est le cas à Vincennes, à Chantilly ou à Saint-Cloud.
La manufacture patrimoniale, durablement implantée dans les territoires, est parfois le cœur économique d’une collectivité attachée à sa région. La diversité des secteurs manufacturiers permet à chaque territoire de faire fructifier ses savoir-faire spécifiques.
Si certaines manufactures royales de céramique traversent les âges, de nouvelles apparaissent, correspondant à quatre bassins principaux d’activité : Régions Nord et Est, Vallée de la Drôme et du Rhône, Région de Limoges et, du Berry.
Aujourd’hui, de nombreuses manufactures de céramique – royales ou pas – continuent de perpétuer leurs savoir-faire dans leurs territoires d’ancrage, en utilisant des ressources locales comme les manufactures de Pillivuyt ou de Digoin.
La laine est au centre de la première industrie textile et manufacturière du royaume, à proximité d’élevages ovins. La localisation des ateliers de tapisserie est quant à elle influencée par la proximité des teintureries, installées elles-mêmes à côté des rivières.
Au XVIIème siècle, le secteur textile est le fleuron de l’industrie française. Et à cette époque, la manufacture textile s’appuie sur trois matières premières : le coton, la laine et la soie.
On peut observer que la localisation des ateliers de tapisseries est influencée par la proximité des teintureries, qui se trouvent près des rivières. Quant à la soie, c’est un produit de luxe déjà exploité à Lyon, à Nîmes et à Tours : ces territoires sont propices à la culture des muriers, nourriture du ver à soie.
Retrouvez l’intégralité de cette étude dans l’ouvrage ci-dessous, disponible en ligne.