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« Une mode à rebrousse-poil » : entretien avec Olivia Bertrand de Laines Paysannes

Terre & Fils remet à Laines Paysannes le prix "Savoir-faire et filières" d'Innover à la Campagne 2023

T&F

La SCIC Laines Paysannes existe depuis maintenant 7 ans et compte aujourd'hui 9 salariés. Porteuse d'un projet économique, social et environnemental singulier, elle est devenue un acteur incontournable dans la filière laine en Occitanie, et même dans toute la France. À l'occasion de sa participation à l'édition 2023 du concours Innover à la Campagne, elle a été récompensée par le prix "Savoir-faire et filières", remis par Terre & Fils.

Nous avons rencontré Olivia Bertrand, à l'origine de cette initiative avec son compagnon Paul de Latour.


Texte : Marie Formarier – photos : Laines Paysannes

« Une mode à rebrousse-poil » : quel est le projet économique, social et environnemental de Laines Paysannes ?

Le projet de Laines Paysannes s’est construit autour d’une matière : la laine. Moi j’étais passionnée par les techniques de teinture et de filage ; Paul, lui, est éleveur et fortement investi dans l’agro-pastoralisme et la valorisation de la brebis tarasconnaise. Notre approche était complémentaire.

« Le projet de Laines Paysannes s’est construit autour d’une matière : la laine. »

Depuis le début, nous sommes convaincus que recréer du lien entre les bêtes, la matières et les savoir-faire est essentiel. La raison d’être de Laines Paysannes est de valoriser une ressource locale, et à travers elle, les spécificités d’un territoire. Car les laines d’Occitanie ne sont pas les mêmes qu’ailleurs.

© Laines Paysannes

Or, la laine est encore souvent considérée comme un sous-produit de l’élevage, voire un déchet. Pour donner quelques chiffres, un troupeau de 1 000 brebis permettra d’obtenir entre 500kg et 700 kg de laine triée. Nous, nous l’achetons 1,20 euro HT/kg, mais les prix du marché tournent plutôt autour de 5 centimes. Pour l’instant, ce n’est pas rentable économiquement. Ce n’est qu’une fois transformée que la laine devient une matière à forte valeur ajoutée. 

Quels leviers avez-vous pu activer concrètement pour construire votre écosystème ?

Nous nous sommes appuyés sur un fort réseau associatif. Paul étant éleveur, il a été plus facile de se déplacer de ferme en ferme et de montrer concrètement tout l’intérêt de la démarche à travers la gamme de produits finis. Aujourd’hui, nous sommes en partenariat avec 25 fermes.

Outre les éleveurs et les éleveuses, nous avons pu également compter sur le tissu économique déjà présent sur le territoire, en Ariège et dans le Tarn, avec des acteurs locaux comme la petite filature de Niaux. Ce sont désormais une quinzaine d’entreprises artisanales et industrielles qui se sont engagées dans notre écosystème, afin de maintenir et renforcer les emplois de la filière (lavage, filature, tricotage, tissage, confection).

© Laines Paysannes

Il a fallu aussi engager une démarche pédagogique auprès du grand public, pour que les gens se rendent compte de la réalité financière de la fabrication, et ce qu’il y a derrière les prix calculés au plus juste. Nous tenons beaucoup à ce lien direct avec la clientèle : c’est la raison pour laquelle nous avons choisi la distribution directe, via notre site internet ou bien dans les salons, les festivals ou les boutiques éphémères.

« Ce sont désormais une quinzaine d’entreprises artisanales et industrielles qui se sont engagées dans notre écosystème, afin de maintenir et renforcer les emplois de la filière (lavage, filature, tricotage, tissage, confection). »

Ce que nous aimons par-dessus tout, ce sont les collaborations, la croisée d’univers complémentaires et parfois très différents. Nous avons par exemple créé une collection capsule avec des étudiants de Toulouse regroupés dans le collectif Casa 9.3 Mirail. Des jeunes a priori très éloignés de notre écosystème, qui ont pourtant tout de suite saisi les enjeux créatifs de la matière brute. Le résultat est magnifique !

Tout cela crée une forte interconnaissance, une réelle dynamique dans nos territoires ruraux, une vraie montée en compétences des différents acteurs et un rayonnement de nos territoires à l’échelle nationale et européenne.

© Laines Paysannes

Quels défis devrez-vous relever à l’avenir pour maintenir notamment votre modèle coopératif ?

La SCIC Laines Paysannes existe depuis 7 ans et a montré que ce modèle coopératif était robuste et viable à long terme. Mais aujourd’hui, nous sommes à un tournant décisif. Nous avons plusieurs pistes à explorer pour pouvoir grandir tout en restant cohérents avec notre démarche initiale : améliorer nos outils de gestion et de production, développer d’autres marchés que l’habillement, dans lesquels l’absence d’uniformité de la matière sera un atout et non un frein. Nous collaborons par exemple avec un cabinet d’architecture pour la commercialisation de panneaux esthétiques et isolants fabriqués à partir de laine aiguilletée. Nous aimerions aussi développer notre offre touristique, notamment à la belle saison, en structurant davantage les visites de l’atelier.

« La SCIC Laines Paysannes existe depuis 7 ans et a montré que ce modèle coopératif était robuste et viable à long terme. Mais aujourd’hui, nous sommes à un tournant décisif. »

Mais surtout, nous souhaitons désormais porter notre voix différemment. Non pas seulement comme une initiative coopérative qui fonctionne, mais aussi comme un modèle reproductible. Notre force, c’est le terrain et le concret. Nous sommes la preuve qu’en changeant les choses à notre échelle, l’impact peut se répandre plus largement. Ce n’est pas qu’un combat économique. C’est politique, au sens noble du terme !

© Laines Paysannes

Quels sont, selon vous, les 3 enjeux essentiels pour la filière française de laine ?

Je dirais tout d’abord qu’on a besoin de pérenniser et renouveler les outils existants dans les ateliers de production et d’assurer ainsi la transmission, car beaucoup de personnes qui travaillent dans la laine seront bientôt à la retraite.

Ensuite, la filière a besoin du soutien des institutions. Les porteurs de projets ne peuvent pas agir seuls : des prix comme Innover à la Campagne sont un coup de projecteur indispensable, mais il faut aller plus loin dans l’action.

Enfin, les éleveurs doivent se saisir eux-mêmes des enjeux. L’organisation actuelle de la filière laine est une clef de lecture du monde dans lequel nous vivons. Ce n’est pas la seule, bien sûr. Elle met en lumière les dysfonctionnements de la mondialisation à outrance. L’idée, maintenant, c’est que tout le monde prenne ses responsabilités !