Agir
Avril 2025
T&F
L’enquête des Éclaireurs a été lancée en 2023 par l’Institut pour les savoir-faire français (anciennement INMA) avec le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, le Ministère de la Culture, le Comité Colbert et Terre & Fils. L’objectif principal de cette étude était d’identifier précisément le périmètre des entreprises de savoir-faire et des métiers d’art afin d’en mesurer le poids économique dans l’ensemble des territoires.
lire l’interview de Xavier Long, directeur délégué de l’Institut pour les savoir-faire français
Ces filières regroupent des activités de production, de création ou de restauration du patrimoine, dont le cœur est la maîtrise de gestes et de techniques permettant la transformation de la matière. De nombreux secteurs d’activité sont concernés (textile et habillement, ameublement, bâtiment, arts du spectacle, imprimerie et papier…), mais ces métiers se rejoignent par des caractéristiques et valeurs communes : un haut niveau de maîtrise technique, nécessitant un temps long d’apprentissage et plusieurs années de pratique ; la maîtrise de savoir-faire historiques, transmis de générations en générations ; un fort ancrage territorial ; un temps long de fabrication, qui va souvent de pair avec une production raisonnée ; la fabrication ou restauration de biens de qualité et durables.
Les premiers résultats de l’étude montrent que ces savoir-faire patrimoniaux touchent 500 000 actifs et 234 000 entreprises générant 68 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Plus de la moitié d’entre elles ont au moins 10 ans d’existence. Par ailleurs, si les régions IDF et AURA constituent les deux bassins d’activités principaux, 8 entreprises sur 10 sont localisées en province, contribuant ainsi au développement des territoires et à la valorisation du patrimoine local. En moyenne, 60% de leur chiffre d’affaires est d’ailleurs réalisé sur le marché régional.
De plus, on observe une spécialisation régionale des savoir-faire : la Nouvelle-Aquitaine, par exemple, excelle dans le secteur du cuir, l’Auvergne-Rhône-Alpes dans les pierres précieuses et les Pays de la Loire concentrent une bonne part des entreprises de peinture / dorure / laque. Logiquement, les filières dépendant des ressources naturelles comme la pierre ou le bois sont largement implantées dans des bassins historiques afin de pouvoir s’approvisionner localement. 35% des spécialistes du bois sentent d’ailleurs une menace sur leur matière première : les entreprises de savoir-faire et les métiers d’art doivent, eux aussi, imaginer de nouvelles réponses aux enjeux de la transition écologique.
Le secteur des savoir-faire attire les actifs qui souhaitent changer de métier : plus de 4 dirigeants d’entreprise sur 10 occupent leur poste après une reconversion professionnelle. Par ailleurs, 42% des entreprises (hors entreprises individuelles) ont recruté au moins un salarié en 2023 et 41% prévoyaient de recruter au moins un salarié en 2024. En outre, les jeunes de moins de 25 ans représentent plus d’1/3 des salariés. À cet égard, la (re)connaissance de ces filières auprès de la nouvelle génération est donc un objectif à privilégier.
La pérennité des entreprises patrimoniales dépend en effet de leur capacité à transmettre leur savoir-faire, alors même que 40% d’entre elles environ indiquent qu’ils ne font l’objet d’aucun diplôme. La formation en interne reste donc la principale ressource, et devient même une urgence car 1 salarié sur 4 détenant un de ces savoir-faire rares a plus de 55 ans. L’alternance reste, elle, marginale, ce qui s’explique sans doute par la taille des entreprises, pour la plupart unipersonnelles, le manque de temps et la lourdeur administrative : seulement 11% des entreprises y ont donc recours, la plupart dans la filière de la restauration du patrimoine bâti.
Enfin, le premier enjeu cité par les dirigeants est celui de la valorisation des savoir-faire. C’est probablement par ce biais que se construisent en effet les bonnes réponses pour l’avenir, capables de renforcer le modèle économique et d’assurer le maintien d’une main-d’œuvre qualifiée et motivée. Cela semble aussi suggérer l’ampleur de la dimension culturelle des savoir-faire, composante essentielle dans des écosystèmes propres qui ne se limitent pas aux enjeux de production. La nécessaire coopération entre acteurs économiques et acteurs culturels, tant à l’échelon national que territorial, est ici singulièrement mise en exergue.
Contrairement aux idées reçues, les métiers d’art et les savoir-faire locaux ne se limitent donc pas à leur valeur patrimoniale ou muséale. Ce sont des acteurs à part entière de l’économie du pays : ils irriguent des territoires, offrent des emplois, transmettent des savoirs et participent à l’économie réelle. Mais cette richesse réclame une attention toute particulière de la part des acteurs publics et privés. Elle repose en effet sur des savoir-faire souvent longs à maîtriser, fruit d’un apprentissage spécifique qui n’entre bien souvent dans aucun cursus de formation. Avec près d’un dirigeant sur quatre proche de l’âge de la retraite et un savoir-faire sur deux non couvert par une certification, l’urgence de la préservation et de la transmission s’impose. Enfin, au-delà de ces données chiffrées, l’enjeu pour l’avenir sera de mettre en place des outils qualitatifs pertinents en réponse aux besoins de consolidation et de développement des entreprises, mais aussi un accompagnement singulier pour favoriser la réflexion collective et faire émerger des projets fédérateurs.